Le chef de l’Etat s’engage à « consolider les armées »
Dans le discours très solide qu’il a délivré lors de ses premiers vœux aux armées, à Toulon, le Président de la République ne leur a pas seulement donné leur feuille de route pour le quinquennat. Il a souhaité montrer qu’il avait acquis une connaissance profonde de son sujet.
L’heure n’est plus aux coups de menton, six mois jour pour jour après la démission du général Pierre de Villiers de l’état-major. « je suis votre chef ! » avait tancé Emmanuel Macron après le courroux exprimé par le général face a une énième coupe budgétaire. Un malentendu qu’il veut expédier aux archives de la défense nationale, au nom de » la relation singulière », voire de la transcendance qui, selon lui, unit le président de la Vème République aux armées. « Je veux avoir ces moments pour vous rencontrer et incarner cette responsabilité exorbitante que nous avons en partage au service de la France. Je veux pouvoir vous regarder les yeux dans les yeux et exprimer ce qui est indicible, et nous unit collectivement »,a-t-il déclaré aux 1500 militaires réunis à bord du porte-hélicoptères Dixmude.
Le chef des armées a dévoilé les grands choix qui scanderont pour sept ans, entre 2019 et 2025, la loi de programmation militaire (LPM).Le texte sera déposé au Parlement dès son passage en conseil des ministres le 8 février.
En 2018,le budget augmente de 1,8 milliards d’euros, à 34,2 milliards. La progression continuera, 1,7 milliard par an jusqu’en 2022 (soit la promesse d’une dépense totale de 190 milliards sur le quinquennat). Le président évoque un saut de « 3 milliards en 2023 », quand seront engagées les lourdes dépenses de renouvellement des armes nucléaires. Le but, a-t-il déjà assuré , sera que le pays consacre 2 % de son PIB à la défense en 2025. »Les engagements seront tenus », a-t-il redit. La décision es prise » d’arrêter la lente érosion des capacités militaires » du pays.
Emmanuel Macron « veut une France forte (…) fidèle à ses engagements au sein de l’Alliance atlantique et moteur de l’autonomie stratégique européenne ». Son armée offre une façade indestructible – dissuasion nucléaire, navires et avions de dernière génération, soldats aguerris. Pourtant , elle craint de s’effondrer, après dix ans de coupes claires que l’on peut ainsi résumer : 54 000 suppressions d’emplois décidées par Nicolas Sarkosy, 35 milliards d’euros d’économies prévues par François Hollande.
Les attentats de 2015-2016 ont poussé l’exécutif à stopper la chute. Une fois acquis que le budget repartirait à la hausse, tout l’enjeu était de doser l’effort entre les besoins présentés par l’état-major et son nouveau chef, le général Lecointre : recouvrer des forces , combler les lacunes urgentes des équipements, innover pour préparer l’avenir. Il fallait encore que le nouveau président soit convaincu du double crash qui menace à court terme, celui des ressources humaines et celui des matériels. C’est fait. Dans la loi de programmation militaire, M.Macron a décidé de commencer par étayer les murs de la maison militaire. » Il s’agit de consolider nos armées et de les projeter vers l’avenir ».
Le président a défendu à Toulon « de vrais choix ». Peu lisibles sûrement du grand public, ils sont cruciaux : ils visent à sauver ce que les responsables militaires ont nommé « la cohérence du modèle d’armée français ». Le pays prétend posséder toute la gamme des moyens pour mener une guerre en restant indépendant , depuis ses propres satellites jusqu’à la culture expéditionnaire enviée de son armée de terre. Dans ce cadre, dépendre à 90 % des avions ravitailleurs américains pour faire voler les Rafale en opération n’a pas de sens. Laisser une partie de la zone économique exclusive française sans surveillance faute de patrouilleurs en mer, non plus. Il faut aussi que cette armée soit « soutenable ». Un rappel sénatorial avait dénoncé en 2012 un « effet Potemkine »pour expliquer que tel n’était pas le cas. Les récentes opérations extérieures ont été menées en sacrifiant l’arrière, la formation des jeunes pilotes ou l’entraînement des combattants. Ce qui revient à compromettre la prochaine guerre du président.
Première priorité : la vie quotidienne des soldats et le fonctionnement. « Depuis trop longtemps, en raison de budgets en contraction, des choix ont été faits de privilégier le format, le nombre des équipements, au détriment du quotidien. Les armées ont serré les dents »,a noté le président. Les militaires présents ont apprécié. « Nous dégagerons donc des ressources pour consolider vos conditions de vie professionnelle. » Le rattrapage semble inatteignable : les casernes sont délabrées, l’équipement de base du soldat lacunaire, l’entraînement au-dessous des normes de l’OTAN, l’accompagnement des familles insuffisant. De quoi écoeurer les jeunes recrues. Un « plan familles » a été lancé par la ministre Florence Parly, doté de 300 millions sur le quinquennat : idées et doléances sont en cours de recensement.
Deuxième priorité : la modernisation. Des matériels pour lesquels M.Macron dit hériter d’une « situation critique » vont être remplacés plus vite. C’est le cas des vieux »VAB » au profit des nouveaux blindés de l’armée de terre du programme Scorpion. Des ravitailleurs quinquagénaires qui menacent de tomber, auxquels succéderont des avions multirôles MRTT plus nombreux que prévu. Ou encore des patrouilleurs, et des pétroliers de la marine- si les normes civiles s’appliquaient, ils ne pourraient plus naviguer, faute de double coque.
La défense commandera plus de drones de type Reaper, ainsi que des moyens toujours plus puissants de renseignement. Elle aura des moyens d’avenir « mais en même temps plus de responsabilité », demande le chef des armées. »Chaque dépense sera évaluée à l’aune de son utilité opérationnelle ». Le ministère lui, doit faire un effort pour avoir un budget plus »sincère ».Les opérations extérieures étaient jusqu’alors cofinancées par la solidarité ministérielle, ce qui provoquait de vives tensions avec Bercy. Le ministère en reprendra toute la charge en 2020, à hauteur de 1,1 milliard.
Les industriels sont priés d’être plus performants. « L’Etat est aux côtés de ces industriels, il l’est pour les besoins de nos armées comme à l’export, mais j’attends (d’eux) la même exigence et le même esprit de responsabilité », a lancé le chef de l’Etat dans une charge virulente. « Nous ne pouvons pas avoir des équipements qui aujourd’hui ont les taux d’indisponibilité qui sont parfois les nôtres , ce n’est pas responsable. » La disponibilité des hélicoptères n’a pas dépassé 50 % en 2016, plongeant à 25 % pour le Tigre, le plus moderne d’entre eux, qui aura coûté 88 millions d’euros de maintenance cette année. La ministre Florence Parly a lancé une réforme . » J’en attends beaucoup. » a prévenu Emmanuel Macron.
Article de Nathalie Guibert dans Le Monde du 22 janvier.
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