Allocution Mr Philippe VALODE le 11-11- 2018
Nous voici rassemblés ce matin pour célébrer le 100e anniversaire de l’armistice de 1918, point final d’une guerre dont la France - et l’Europe - sortent exsangues avec 10 millions de victimes. Ayant mobilisé sur les champs de bataille 8 millions d’hommes mais aussi des millions d’autres, femmes et hommes cette fois, dans les usines et les transports, la France a subi des destructions considérables et plus encore des pertes irrémédiables. Des pertes aujourd’hui révisées à la hausse en raison de disparitions sous estimées à l’époque. Car l’artillerie a disloqué des centaines de milliers de corps de militaires français dont il n’est demeuré nulle trace. Ce sont probablement 1,5 million d’officiers et de soldats qui ont trouvé la mort durant les quatre longues années de combats (1561 jours) - et non pas 1,3 million comme on l’estimait en 1918-, et le double qui ont été gravement blessés dans leur chair. Mais la victoire, enfin emportée, compense tout le reste.
Et pourtant, au début de l’année 1918, rien n’est joué, bien au contraire. Il faut s’en souvenir. Alors que Clemenceau, nommé président du conseil en novembre 1917 à 76 ans, s’efforce de restaurer l’esprit combatif de la troupe, un jour sur trois au front, les bacchantes en bataille et le chapeau bosselé vissé au crâne, 1918 s’ouvre sur une grande inquiétude, une grande incertitude.
Notre allié russe s’est effondré : le tsar a abdiqué, l’intermède démocratique Kérinski a été balayé et au mois d’octobre 1917, Lénine emportant le pouvoir sur la vague de la révolte populaire a aussitôt conclu un armistice avec les Allemands. Ludendorff, le véritable général en chef de l’Empire allemand, peut ainsi déplacer 800 000 hommes du front russe vers le front occidental. Avec un objectif : créer le surnombre qui permettra de percer le front franco-anglais au sortir de l’hiver 1918.
Clemenceau, Poincaré, Pétain et Foch sont tous les quatre parfaitement conscients que la France peut alors perdre la guerre.
Certes la providence veille : les Américains après avoir déclaré la guerre à l’Allemagne, ont envoyé leurs premiers contingents en France dès le mois de juin 1917. Mais au 1er janvier 1918, seuls 180 000 hommes ont débarqué. Et il faudra attendre le milieu de l’année 1918 pour qu’une première division américaine, après un entraînement accéléré, puisse être réellement engagée. Certes le moral allemand est touché par cette volonté américaine de soutenir ses alliés historiques en Europe. Et Ludendorff sait qu’il ne dispose que d’une étroite fenêtre pour vaincre Français et Anglais avant que l’engagement américain n’emporte tout. Aussi, peu à peu renforcé par les divisions de retour de Russie, prépare-t-il ses offensives de printemps, les conditions climatiques dans le Nord et l’Est de la France ne permettant guère de vastes mouvements hivernaux.
Pétain est hésitant : il veut attendre de disposer d’une véritable armée américaine et prévoit la fin de la guerre en 1919. Le père La victoire n’est pas de cet avis. Il préfère Foch, partisan de l’offensive, jusqu’à l’imposer en mars 1918 à Doullens comme coordinateur de toutes les forces alliées.
Alors débute, du 21 mars à fin mai 1918, une période de plus de deux mois tout à fait tragique où l’incertitude le dispute aux sacrifices considérables consentis par les deux armées qui se font face.
Pierre Miquel, l’historien le plus titré de la période, l’a qualifiée de « Victoire manquée de l’Allemagne ». Et c’est bien le cas ! Le 21 mars, le Reich relance la guerre à l’Ouest, alors qu’il est épuisé et affamé. En dix semaines, l’Allemagne va sacrifier un million d’hommes pour tenter d’enlever la victoire.
En face, les Alliés, Français et Britanniques, font appel à toutes leurs ressources en troupes. Les voilà renforcés par les Américains, en nombre croissant, mais également par des Italiens, des Portugais, des Tchèques et des Polonais.
La première offensive allemande, celle de mars, est habilement menée, juste au point de jonction des armées française et anglaise. Les Allemands progressent vite jusqu’à Montdidier avant d’être stoppés devant Amiens.
Le 9 avril, Ludendorff déclenche une seconde offensive dans les Flandres entre Ypres et Béthune. Au prix de pertes colossales, 250 000 hommes, les Anglais parviennent à stabiliser le front sans avoir cédé les ports de la Manche.
A la surprise des Français, le 27 mai, Ludendorff lance à nouveau ses divisions sur le Chemin des Dames, de sinistre mémoire. Il utilise massivement les gaz contre la 6e armée du général Duchêne. Le 30 mai, les avant-gardes allemandes atteignent la Marne, comme en septembre 1914 ! Paris est à moins de 100 kilomètres, à la portée des sept canons lourds de marine allemands aux tubes allongés, les fameux Parizer Kanonen. Quatre ans de guerre pour rien s’interroge, au désespoir, le poilu ! La chute de Chateau-Thierry est, heureusement, le dernier succès allemand de la Grande Guerre. Héroïques, les Français ont tenu le choc, secourant même une armée britannique en perdition. Hors l’abnégation des hommes, on n’insiste pas assez sur l’explication majeure de ce succès : avec ses 2 000 chars, ses 12 000 avions et ses 10 200 canons, l’armée française est devenue la plus moderne du monde. Souvenons-nous de cette leçon lorsque la nation votera les budgets à venir de la Défense nationale.
Le 18 juillet, Foch lance l’offensive de Villers-Côtteret. Dès le 21 les Allemands commencent à reculer… Alors que le 6 août 1918, Foch reçoit son bâton de maréchal, les Alliés, cette fois renforcés de plusieurs divisions US (qui compteront jusqu’à 400 000 combattants sur les 2 millions de soldats débarqués), les Alliés multiplient donc les offensives. Le 12 octobre, Lille est reprise.
Et le 11 novembre, à Rethondes, les plénipotentiaires allemands signent l’armistice alors que Guillaume II a renoncé au trône depuis deux jours.
Quand les clairons sonnent la fin des combats à 11 heures, ce 11 novembre 1918, il y a très exactement 100 ans, le soulagement des soldats ne le cède en rien à la joie des civils. Et pourtant en ce dernier jour de la Guerre, 1 170 Français sont morts, ont été blessés ou sont portés disparus. A Metz, en Moselle, revenue à la France comme les deux départements alsaciens, la population renverse la statue équestre de Guillaume II. Partout les cloches sonnent à toute volée, les façades se fleurissent de drapeaux. Et à Paris, Clemenceau, le Tigre, à qui le pays doit tant, fait tirer 1 200 coups de canon. A Lyon, le bourdon de la cathédrale Saint-Jean sonne à midi. Les cloches de la basilique de Fourvière et le carillon de l’Hôtel de Ville lui répondent aussitôt...
Le plus grand drame du XXe siècle débutant vient de prendre fin. Et déjà le monde nouveau se prépare. Guillaume II de Hohenzollern se réfugie en Hollande, le Romanov Nicolas II périt assassiné à Ekaterinbourg, Charles Ier de Habsbourg se retire en Suisse, enfin, le sultan turc Mehmet VI est chassé du pouvoir. Ainsi périssent les grands empires des siècles précédents. En France chacun panse ses plaies après l’insupportable mais glorieuse amputation subie : 1,5 million de tués et 3 millions de blessés - parfois très sévèrement comme les gueules cassées et les gazés -, soit 11 % de la population totale.
A la suite du traité de Versailles de juin 1919, la France a quelque raison d’être mécontente : la flotte allemande se saborde, les drapeaux enlevés aux forces françaises en 1870 sont brûlés par la foule germanique au lieu d’être restitués, l’Allemagne repousse les réparations, elle refuse de livrer ses dirigeants accusés de crimes de guerre, enfin, elle reconstitue dans le plus grand secret la Reichwehr, allant jusqu’à l’entraîner en URSS.
Déjà les temps mauvais se préparent, ceux qui vont déboucher sur le nazisme et une nouvelle guerre, bien plus terrible encore que la précédente.
Mais le sacrifice des soldats de 1918 n’aura pas été vain. En 1918, le pays a démontré que, même au bord du gouffre, il dispose d’un courage insoupçonné, d’une volonté de fer, d’une capacité de réaction admirable. Et que le Français est prêt à mourir pour la patrie, ce dont le général de Gaulle saura se souvenir le 18 juin 1940, en lançant, malgré la défaite, son appel plein d’espoir à la révolte de la nation.
Philippe Valode
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