Achat de Rafale par l’Inde
Deux signatures comme un point final à un long feuilleton. Les ministres de la défense indien et français, Manohar Parrikar et Jean-Yves Le Drian , ont apposé leurs paraphes sur le contrat avalisant l’achat par l’Inde, vendredi 23 septembre 2016, de 36 avions de chasse Rafale construits par Dassault Aviation. Dans un communiqué le constructeur aéronautique souligne que ce contrat » confirme le savoir-faire technologique et les compétences des salariés de Dassault Aviation et de ses 500 partenaires industriels »
Selon une source proche de la délégation française, le premier avion devrait être livré en 2019, et les autres seront livrés dans les trente mois qui suivent. Le montant du contrat n’a pas été dévoilé, mais selon cette même source, » le chiffre annoncé de 8 milliards d’euros, donné dans la presse indienne, correspond à l’ordre de grandeur » Cet accord comprend un volet sur les « offsets »- les transferts de technologies et contreparties industrielles- dont la valeur représente 50% du contrat.
Jusqu’au bout , les Indiens auront négocié , pied à pied, le prix du Rafale. »Jusqu’à ce matin, ce n’était pas complètement sûr » indique, soulagé, Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation. Déjà en mars, le ministre indien de la défense ne cachait pas ses intentions « Je suis dur en négociation. Laissez-moi économiser l’argent de la nation » Avant d’ajouter » Un bon acheteur ne met pas en avant ses faiblesses. Il n’abat ses cartes qu’à la fin. Au nom de l’intérêt de la nation, ne me demandez pas de les révéler »
Les faiblesses de l’Inde ne sont pourtant pas si difficiles à deviner. Le pays ne disposait en 2015 que de 35 escadrons , de 18 appareils chacun, alors qu’il lui en faudrait au minimum 41 à 45 pour faire face à un conflit avec le Pakistan et la Chine. « Nous avons besoin de 6 escadrons d’avions du type Rafale » expliquait en octobre 2015, le chef d’état-major de l’armée de l’air indienne.
« Ce n’est pas le nombre d’avions qui importe , mais la capacité militaire », insiste Nitin Gokhale. Selon cet analyste spécialisé dans les questions de défense, le Rafale est capable d’effectuer six rotations par jour, contre trois à cinq pour les autres appareils de la flotte indienne. Il est capable de parcourir jusqu’à 1050 kilomètres par rotation , contre 600 pour l’avion de combat russe Sukhoï-30. « Le missile air-air de toute dernière génération Meteor, dont le Rafale sera équipé, peut atteindre l’intérieur du Pakistan sans qu’il ait besoin de traverser la frontière », poursuit M.Gokhale. Outre ses capacités techniques , « le choix du Rafale est un choix politique, celui de renforcer un partenariat stratégique avec la France »,ajoute l’analyste Chitrapu Uday Bhaskar.
Reste à payer la facture. Et celle-ci est particulièrement salée en cette période de disette budgétaire.
La signature du contrat, par son ampleur, est aussi politiquement risqué. Le gouvernement indien va dépenser pour les avions de combat, l’équivalent d’un an et demi de son budget consacré à la santé. Dans un pays où des millions de patients tombent sous le seuil de pauvreté et doivent s’endetter pour se soigner , où les hôpitaux publics sont délabrés , le contrat pour les Rafale risque de soulever quelques critiques.
Cependant, ces protestations devraient avoir moins de poids aujourd’hui alors que des voix s’élèvent pour réclamer des représailles militaires contre le Pakistan après l’attaque d’une base militaire au Cachemire qui a tué 18 soldats indiens . L’annonce de l’achat de Rafale tombe à cet égard à point nommé pour le premier ministre , Narendra Modi.
L’acquisition des avions français , assemblés en France et non en Inde, comme initialement espéré par le gouvernement indien, écorne néanmoins l’un des axes forts de la politique économique de M.Modi, à savoir le programme »make in India ». Lors du salon aéronautique de Bangalore en 2015, le chef du gouvernement déclarait émergerait comme « un centre mondial dans l’industrie de la défense ». L’Inde , premier importateur au monde, en est encore loin. Seule, dans ce dossier du Rafale, la bureaucratie indienne , réputée complexe et imprévisible , aura été on ne peut plus »make in India ». La moindre décision , surtout pour un contrat de cette ampleur, a été revalidée, puis revalidée. New Delhi craignant de subir un nouveau scandale de corruption , comme celui qui a précipité à la fin des années 1980 la chute du premier ministre Rajiv Gandhi, soupçonné d’avoir reçu des pots- de- vin du groupe suédois d’armement Bofors.
En 2000, un rapport prônait d’améliorer les procédures d’acquisition au sein du ministère indien de .la défense. Il dénonçait notamment l »’absence d’une structure professionnelle consacrée à l’approvisionnement ». Un diagnostic encore valable aujourd’hui.
Article de Julien Bouisson dans Le Monde du 24 septembre 2016.
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