Raid contre les sites chimiques de l’armée syrienne (13 et 14 avril 2018)
Une salve unique, avec des missiles de longue portée, dans une opération conjointe menée par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni. Annoncées depuis plusieurs jours , les frappes occidentales en Syrie ont visé, dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14 avril, les sites chimiques de l’armée syrienne.
La France a ciblé un centre de recherche et deux sites de production d’armes chimiques. Des objectifs « précis » et « proportionnés »,a indiqué Jean-Yves Le Drian. Il s’agissait, selon la ministre Florence Parly, d’objectifs appartenant au programme syrien. « Le principal centre de recherche et deux importants sites de production ont été frappés. Au travers ces objectifs, c’est la capacité de développer, de mettre au point, de produire des armes qui est atteinte »
Les Rafale qui ont bombardé, accompagnés d’avions ravitailleurs et de chasseurs équipés d’armement air-air, sont partis de la base de Saint-Dizier (Haute-Marne) et ont tirés des missiles de croisière Scalp. Trois frégates multimissions, dont l’Aquitaine,ont été engagées au large de la Syrie. L’une d’elles a tiré des missiles de croisière navals, ce qui est le premier emploi de cette arme en opération, décidé par le président de la République. Le choix de ces armes d’une portée d’environ 1 000 kilomètres s’imposait : il fallait un tir précis, à distance de sécurité, capable de déjouer les défenses antiaériennes mises en œuvre par des forces russes sur le territoire syrien, et couvrant la quasi-totalité de la Syrie urbaine et industrielle.
Les missiles de croisière ont deux objectifs. Le premier est de supprimer les défenses antiaériennes ennemies, avant de lancer une campagne militaire en sécurité. Ce fut le scénario de la guerre en Lybie en mars 2011, où le théâtre a ainsi été « ouvert » par les missiles Tomahawk américains et britanniques. Ce ne pouvait être le choix, cette fois-ci, en raison de la présence russe en Syrie, et la riposte à l’attaque chimique de Douma n’a jamais été conçue comme une campagne aérienne.
Le deuxième rôle des missiles de croisière est précisément politique. C’est dans cette optique que, en 2015,Vladimir Poutine avait lancé vingt- six Kalibr depuis la Caspienne contre des groupes islamistes en Syrie ce qui lui avait permis de faire une entrée remarquée sur ce théâtre, tout en démontrant aux occidentaux qu’il maîtrisait cette capacité militaire sur de nouveaux navires.
Emmanuel Macron a tenu un langage de fermeté, mais il a inscrit la frappe dans un cadre militaire étroit en assurant vouloir éviter «l’escalade ». La participation de l’armée française s’inscrivait entre deux bornes : le refus d’une frappe de « décapitation » du régime, contre le palais ou un bunker présidentiel d’une part ; puis la volonté de ne pas tuer de Russes d’autre part.
En 2013, la riposte planifiée-puis abandonnée- par Washington, Londres et Paris après le carnage au sarin , commis dans la Ghouta, était d’une ampleur similaire. Selon le Washington Post du 9 avril, le plan prévoyait de cibler au moins six installations militaires du régime, et une deuxième vague était prévue sur des cibles additionnelles en cas de besoin. Paris avait alors employé le mot « punir ».
A l’époque, Damas possédait un des stocks opérationnels les plus importants du monde avec plus de 1 000 tonnes d’agents chimiques de guerre et de précurseurs, ainsi que plusieurs milliers de vecteurs (missiles, roquettes, bombes).
Engagé sous le parrainage des Etats-Unis et de la Russie, le démantèlement a conduit à détruire 100 % du stock déclaré selon l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) , soit quelque 1 300 tonnes d’agents et vingt-quatre installations. Mais depuis, de nouvelles attaques chimiques ont été attribuées au régime, et l’OIAC a dénoncé régulièrement les écarts entre les déclarations syriennes et la réalité. Trois sites de production sont demeurés inaccessibles aux inspecteurs internationaux, à Masyaf (province de Hama), Barzeh et Doumayr (près de Damas). Le renseignement français a déclaré en 2017 que « la Syrie a maintenu une capacité de production ou de stockage de sarin » et qu’elle n’a « jamais déclaré des munitions tactiques , grenades ou roquettes, telles que celles utilisées de façon répétée depuis 2013. »
Article de Nathalie Guibert du Monde du 16 avril 2018
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