Crainte dans l’industrie française de l’armement
Les industriels de la défense doutent de l’engagement du gouvernement à préserver le budget militaire sur les années à venir, période couverte par la nouvelle loi de programmation militaire , qui sera discutée à partir du 8 octobre au Parlement. Celle-ci prévoit un effort de 179,2 milliards d’euros pour la défense entre 2014 et 2019.
« La situation deviendrait délicate si les engagements pris n’étaient pas tenus, provoquant un décrochage irréversible. Nous voulons croire que la France sera capable de relever ce défi » Dans une tribune, les sept patrons des plus grands groupes français du secteur, Eric Trappier (Dassault), Patrik Boissier (DCNS), Marwan Lahoud (EADS France), Antoine Bouvier (MBDA), Philippe Burtin (Nexter Systems), Jean-Paul Herteman (Safran) et Jean-Bernard Lévy (Thalès) interpellent les pouvoirs publics.
A la veille des Universités d’été de la défense, qui rassembleront les 9 et 10 septembre à Pau industriels, militaires et parlementaires, ces sept dirigeants insistent sur la nécessité d’exécuter cette programmation dans son intégralité, ce qui sera une première.
Signe de leur préoccupation sur l’avenir du secteur, c’est la deuxième fois en cinq mois que ces industriels s’expriment conjointement et publiquement par écrit, ce qu’ils n’avaient jamais fait jusqu’alors.
En mars, ils ont demandé au président de la République François Hollande, de les recevoir pour lui exposer les risques que ferait peser sur le secteur une contraction du budget de l’Etat.
Ils évoquaient leurs craintes d’une perte d’activité dans l’armement, qui en tête des investissements publics avec 16 milliards d’euros annuels , représente « 165 000 emplois industriels à forte valeur ajoutée et peu délocalisables » et plus de 4 000 PME.
La préservation de l’emploi a emporté l’arbitrage présidentiel face à Bercy, qui voulat diviser par deux les grands programmes militaires. Le budget de la défense va être stabilisé à son niveau de 2013 jusqu’en 2016- 31,4 milliards d’euros par an- soit un recul en volume sous l’effet de l’inflation. La défense espère un un retour à meilleure fortune à partir de 2017, pour disposer de 32,51 milliards en 2019.
Cet objectif est conditionné à l’obtention de ressources exceptionnelles (ventes immobilières, cessions de fréquence de l’Etat ou d’actifs) à hauteur de 5,9 milliards sur la période.
Dans leur tribune, les sept dirigeants apprécient d’avoir été entendus « le président de la République s’est engagé malgré la crise et les résistances, sur un volume de crédits qui pourrait permettre de préserver cet acquis industriel technologique »
Leur souci est la mise en œuvre de la LPM. Car »aucune mandature n’a vu l’exécution dans sa totalité d’une loi de programmation militaire » soulignent ces dirigeants. Il manque près de 4 milliards d’euros à la précédente qui prévoyait 186 milliards sur 2009-2014.
« Ces glissements sont responsables des contraintes qui pèsent aujourd’hui sur le budget de la défense, réduisant ses marges de manœuvre. Face au risque réel de décrochage qui menace nos armées, nos outils industriels, nos emplois et le maintien de compétences souveraines, le défi est immense pour la prochaine programmation, puisqu’elle devra ni plus ni moins être la première à être intégralement exécutée »
Les sept patrons plaident pour que soit recréée » une relation de confiance qui passera par le respect des engagements pris et par une sincérité budgétaire, corollaire d’une visibilité à moyen et long terme, indispensable à la survie de nos outils de production et des emplois qui y sont associés » Ils reconnaissent que « ce défi sera très difficile à relever », mais en cas de succès, promettent que cela se traduira directement par des emplois et de la croissance pour l’économie française.
Les grands programmes d’armement-Rafale, avions ravitailleurs, frégates multimissions etc…- sont préservés, mais tous sont étalés dans le temps, et la cible des commandes est réduite sur la période. » Certaines compétences critiques, indispensables à notre recherche et à nos bureaux d’études, sont directement menacées ; elles ont besoin d’être nourries par des projets structurants pour assurer leur pérennité » préviennent-ils.
Le ministre de la défense enjoint de compenser cette baisse des commandes par un effort plus soutenu à l’exportation. Le marché mondial est porteur (+8 % par an), mais la concurrence s’exacerbe. En 2012, les prises de commandes étrangères de matériels français ont reculé de 26%, tombant sous la barre des 5 milliards d’euros (4,8 milliards)
Confrontés eux aussi à une baisse du budget national, les industriels américains se montrent de plus en plus offensifs en Asie et au Moyen-Orient.
(Article de Dominique Gallois et Nathalie Guibert dans Le Monde du lundi 9 septembre 2013)
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