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Allocution de Mme Géraldine DUPUIS-DENIS , le 8 mai 2019.

Mesdames, Messieurs,

C'est un grand honneur et une véritable responsabilité qui sont faits au professeur d'Histoire que je suis de prononcer aujourd'hui ces mots devant vous.

Commémorer... Marquer par une cérémonie le souvenir d'un acte, d'une personne ou d'un événement, mais aussi par extension le célébrer, le fêter.

A l'heure où les derniers témoins de l'histoire du XXe siècle s'éteignent, quand cette histoire ne résonne plus autant dans les mémoires individuelles et collectives, comment continuer à la commémorer et à la transmettre ? Comment la rendre toujours vivante et actuelle, en particulier auprès des jeunes générations ?

Dans mon métier, je me suis souvent interrogée... L'Histoire, définitivement, ne saurait appartenir au passé, elle a tant à nous enseigner... Ces autres vies que les nôtres, qui nous ont précédés, ces hommes et ces femmes qui avant nous ont souffert, espéré, se sont battus, ont parfois pour certains été lâches, et pour d'autres fait preuve d'un tel héroïsme, allant parfois jusqu'à perdre la vie pour la France, et pour nous aujourd'hui...

2019... 1919, j'imagine volontiers un mois de mai, la foule se pressant ici même pour profiter des premières chaleurs, le printemps enfin après plus de quatre années d'hiver.

Les vêtements sont noirs, le deuil est partout dans les familles et les blessures sont apparentes, mais les sourires timidement reviennent sur les visages.

La presse relate la conférence de paix qui depuis janvier se tient à Paris.

On pense enfin à l'été, on rit et on espère, inconscients sans doute - mais comment eût-il pu en être autrement- des rancœurs, des frustrations et des haines persistantes qui contribueront seulement 20 ans plus tard au déclenchement du conflit le plus atroce qui a ensanglanté l'Europe et le monde.

Des régimes totalitaires voient le jour, fondés sur des idéologies monstrueuses. Les hommes de paix seront impuissants à empêcher le chaos. Mussolini déclarait ainsi : « La Société des Nations est très efficace quand les moineaux crient, mais plus du tout quand les aigles attaquent ». Dès 1933, l'Allemagne nazie et le Japon quittent l'organisation, imités en 1937 par l'Italie fasciste. La Société des Nations, qui ne dispose pas de force armée « en propre », et de ce fait dépend des grandes puissances pour l'application de ses résolutions, se révèle totalement incapable de prévenir les agressions des pays de l'Axe durant les années Trente.

Souvenons-nous. De l'invasion de la Pologne en septembre 1939 à sa capitulation sans condition le 8 mai 1945, l'Allemagne de Hitler a entraîné une véritable tragédie, une apocalypse.

Plus de 60 millions de morts, un bilan matériel épouvantable, des pénuries qui dureront des années, des populations sous le choc et les souvenirs traumatisants qui hanteront nuits et jours les survivants des camps...

Que serait devenu notre monde sans le courage de quelques hommes, une poignée, puis des centaines et un jour des milliers qui ont refusé l'inéluctable auquel la majorité semblait déjà se résoudre. Le général De Gaulle affirmait dans ses Mémoires: « La guerre avait infiniment mal commencé. 11 fallait donc qu'elle continue. » Dès juin 1940 il déclarait sur les ondes de la BBC : « Devant la confusion des âmes françaises, devant la liquéfaction d'un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l'impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, soldat et chef français, j'ai conscience de parler au nom de la France».

Oui, grâce à la Résistance, qui a continué à incarner une certaine idée de la France, grâce aux troupes alliées, les hydres monstrueuses ont été vaincues. Cette victoire que nous célébrons aujourd'hui a été remportée au prix de tant de sacrifices... Elle donne encore plus de prix à la paix qui a suivi, elle relativise nos maux et nos mots. Elle justifie l'Europe en projet et la démocratie en progrès dans le monde.

L'Histoire peut-elle servir de leçon? L'avenir nous le dira, et moi je l'espère.

Mais en attendant, cette si belle, si grande victoire du 8 mai 1945, commémorons-la aujourd'hui, honorons la mémoire, souvenons-nous de ceux qui se sont battus pour faire triompher nos valeurs républicaines de liberté, d'égalité et de fraternité réaffirmées dans l'article I de notre Constitution. Paris le 23 août 1944, Lyon le 3 septembre, l'Europe enfin le 8 mai 1945... Nous sommes sur ce vieux continent, dans cette France outragée, brisée, martyrisée, mais dans cette France avant tout libérée...

J'aimerais aujourd'hui évoquer devant vous un certain 8 mai 1945, celui d'un homme en particulier.

Parce que les destins des hommes font le destin de l'Homme.

Parce que je ne suis pas une historienne mais une enseignante passionnée dont la mission est de transmettre, et que je veux m'effacer devant la parole de ceux qui sont si légitimes à la prendre.

Parce que cet homme dont je vous parle, en dépit du demi-siècle qui nous sépare, est mon ami, que je l'admire profondément et qu'il ne cessera jamais de m'inspirer.

Jean est né en 1923. Étudiant à l'École Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse, il s'engage dans la Résistance dès 1942. Arrêté, emprisonné à Limoges, il est déporté au camp de Flossenburg à l'été 1944. Libéré par des soldats américains le 3 mai 1945, il se souvient du 8 mai :

«Le 8 mai 1945 je me trouvais en Bavière depuis cinq jours, sous l'une des tentes d'un hôpital de campagne de la 3e armée des États-Unis, à Pocking très exactement, lieu d'un Kommando de travail sur une base aérienne de la Luftwaffe, à 120km du camp de concentration de Flossenburg dont il dépendait.

Le « miracle » avait eu lieu le 3 mai, lorsqu'un G.I. avait surgi, fracassant d'un coup d'épaule la porte de la baraque où une centaine de déportés, morts et vivants, gisaient enfermés par les S.S. sensés les garder mais qui s'étaient prudemment évaporés à l'approche des Américains. Un des G.I. m'avait alors pris dans ses bras pour m'emmener là où se trouvait en construction l'un de ces hôpitaux du merveilleux Service de Santé de la U.S. Army qui avançait en première ligne juste après les blindés. C'était le Paradis !

Et le 8, alors que vêtu d'un vrai pyjama, étendu sur mon lit de camp, je lisais un western en B.D., surgit tout-à-coup sous la tente un grand sergent noir casqué qui se mit à crier (ou chanter je ne me souviens pas), en dansant et tournant sur lui-même : « WAR IS OVER ! ». J'écoutais alors sur le petit poste de radio à galène les discours de Churchill, de Truman et de De Gaulle. Sur le moment, je ne mesurais pas à sa juste valeur l'importance extrême de cette nouvelle, car pour moi j'avais recouvré la liberté et depuis le 3 mai je vivais parmi des gens qui ne me voulaient que du bien et non plus des tortionnaires et des assassins. Ce n'est que quelques heures plus tard que j'émergeais de mon cocon, pensant aux miens et à tout ce que cela signifiait pour la France et pour le monde. Le désir ardent d'avoir de leurs nouvelles m'envahit alors totalement.»

Je me permets à présent de reprendre la parole...

Churchill, Truman, De Gaulle ... Ces hommes incarnaient des valeurs. Et ces valeurs, ces symboles qui sont les nôtres, soyons en être fiers, portons-les haut.

Pour conclure, mon travail avec mes élèves m'a appris qu'il est indispensable de distinguer le patriotisme du nationalisme. Ce sont en fait deux opposés car si le premier est source de lumière, le second entraîne les ténèbres.

Romain Gary résumait parfaitement-cette différence fondamentale : « Le patriotisme, c'est d'abord l'amour des siens. Le nationalisme, c'est d'abord la haine des autres. » Si la nation est une communauté, la patrie existe par le sentiment et l'idée que l'on en a. Si le nationalisme est un repli sur soi, le patriotisme est un idéal.

« Ma patrie, c'est là où je suis bien » disait Voltaire, « une portion de terre où notre âme peut respirer », selon les mots de Charles Péguy, cette « mère patrie », héritée de nos Pères. En France, depuis la Révolution, la patrie est rattachée au bonheur et à la démocratie.

L'amour de la patrie ce n'est donc pas seulement l'amour de notre France, mais d'une certaine idée de notre France. Cette France éternelle qui a triomphé aux côté des Alliés en ce 8 mai 1945.

Nos valeurs, nos symboles, ne les laissons pas aux mains de ceux qui prétendent les défendre pour mieux les trahir, de ces forces extrêmes qui menacent toujours l'équilibre des peuples et la paix, si précieuse et fragile.

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